Lectures

 

1) Extrait de : « La maladie a-t-elle un sens ?» de Thierry Janssen :

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   "Le rôle d’une bonne médecine est d’identifier les causes profondes des pathologies, de dénoncer les incohérences à l’origine des pollutions, des intoxications et les traumatismes responsables des maladies, de démasquer les mensonges, les tricheries et les manipulations à la base de ces incohérences et surtout, de militer pour que ces attitudes pathogènes soient abandonnées, définitivement considérées comme des « crimes contre la vie». Au lieu de cela, la médecine moderne participe allègrement à l’emballement du système d’hyperproduction et d’hyperconsommation – cercle vicieux à la source des « crimes contre la vie ». En d’autres mots : la médecine moderne tente d’éteindre des feux qu’elle contribue à allumer. Le paradoxe est de taille. L’imposture est énorme. D’autant plus énorme qu’elle consiste à culpabiliser les gens en brandissant la menace du stress, d’une alimentation trop grasse ou du tabac, par exemple, sans vraiment tenter de comprendre les peurs et le mal-être qui motivent les comportements et les consommations « à risque », sans vraiment s’occuper de dénoncer l’accélération délirante de nos rythmes de vie, sans vraiment s’engager à combattre la mise sur le marché de produits néfastes pour la santé. (…)

   Chaque point de vue a des conséquences qui lui sont propres. Chaque nouvelle représentation de la réalité entraîne la création d’une nouvelle métaphore. De la « maladie ennemie » à la « maladie amie ». De la « maladie à soigner» à la « maladie à prévenir ». Une autre médecine serait-elle en train de voir le jour ?

   Le sens de la maladie serait-il en train d’évoluer ? On peut l’espérer. Car, face à la « maladie du sens» qui accable nos sociétés modernes, il paraît urgent de nous poser les bonnes questions, de comprendre notre influence dans les processus pathologiques, d’assumer notre responsabilité face aux conséquences de nos actions et de développer suffisamment de cohérence pour remédier aux dégâts que nous avons provoqués.

 

POUR UNE MÉDECINE HUMANISTE

 

   « Rien n’est plus difficile que de changer nos représentations de la réalité», me dit un jour Henri Trubert, l’éditeur de ce livre. De fait, nos représentations conditionnent nos façons de penser ; elles sont le reflet de nos traditions, de la mémoire collective et de l’histoire de nos sociétés ; elles participent à notre identité. Il n’est donc pas étonnant que nous y soyons attachés. Le problème est que, souvent, cela nous empêche d’évoluer. Ainsi, notre attachement à la représentation d’un monde morcelé constitue le grand problème de notre civilisation technologique ; notre obstination à analyser les détails sans comprendre comment se construit la globalité est le principal frein à l’évolution de nos sociétés, prises au piège de la modernité ; notre refus de considérer l’être humain comme une unité de corps et d’esprit se révèle être le grand obstacle au retour des valeurs humanistes dans la pratique de la médecine scientifique.

   Souvent, j’entends dire que les médecins n’ont pas assez de temps pour écouter leurs patients, qu’ils ont trop de malades à soigner, qu’ils ont trop de traitements à prescrire, trop d’appareils à manipuler. C’est un fait. Ce n’est pas une excuse. La vérité est que les médecins ne prennent pas le temps d’écouter les malades. Simplement parce qu’ils ne sont pas sensibilisés à l’importance de le faire ; ne sont pas convaincus de l’utilité de créer un lien de qualité avec leurs patients ; et, formés à soigner des corps-objets au lieu d’aider des corps-sujets, ils n’ont pas conscience des attentes des personnes qui s’adressent à eux. Du coup, ils acceptent de consulter à des cadences infernales ; ils participent joyeusement à l’accélération du rythme de la vie quotidienne ; ils concourent activement à la progression de la synchro–sainte croissance économique de la société. Ils créent du stress pour eux-mêmes et pour ceux qui les consultent. Et, dans leur empressement, ils commettent des maladresses ; ils finissent par blesser ceux qu’ils veulent aider.

   La maladie, manifestation de la santé

   Selon un groupe d’experts – professionnels de la santé, hommes d’affaires, chercheurs biomédicaux et prospectivistes – réunis à l’initiative de l’Institute for Alternative Futures, à Washington, en 1998, les notions de « maladie » et de « Santé » ne devraient plus être opposées. (La maladie devrait) être vue comme une tentative, de la part d’un individu, pour retrouver son essence physique, sauvegarder son intégrité psychologique, préserver sa cohérence intellectuelle et maintenir ou redéfinir son idéal spirituel. De ce point de vue, la maladie peut être perçue comme un signal d’alerte destiné à prévenir l’individu et sa communauté des manques et des déséquilibres qui les menacent. Elle peut donc être mise à profit comme une opportunité de remédier aux dangers, une occasion d’évoluer.

   (Prenons pour référence) les principes de la théorie de l’information exposés par Tom Stonier, selon lesquels l’intelligence d’un système traduit sa capacité à répondre aux changements de son environnement et donc à accroître ses chances de survivre. Vue sous cet angle, la maladie apparaît comme une véritable expression de l’intelligence de la nature. Car, si ses conséquences sont parfois fatales, elle n’en demeure pas moins une tentative pour pallier le manque et le déséquilibre.

   Pourtant, nous restons, pour la plupart, conditionnés à juger la maladie comme un fait négatif. «La maladie et la mort sont perçues comme des échecs, au lieu d’être considérées comme des occasions d’apprendre, d’évoluer et de grandir, pas seulement d’un point de vue physiologique mais aussi, et de manière plus importante, d’un point de vue existentiel, dans la compréhension des choses», constate Kim Jobst, médecin homéopathe, acupuncteur et psychanalyste jungien, chercheur attaché aux universités d’Oxford et de Glasgow, rédacteur en chef du Journal of Alternative and Complementary Medecine.

   Vider de son « sens positif », la maladie nous apparaît absurde, méprisable et redoutable. Nous déployons donc tous nos efforts pour la combattre à l’aide d’exérèses chirurgicales, de blocages pharmacologiques ou de modifications génétiques. Et, pendant ce temps, nous ne cherchons pas à comprendre la raison profonde de sa manifestation, la signification de son apparition, le sens de son existence. C’est dommage, car identifier les causes d’une maladie ne suffit pas. Il faut, en plus, savoir comment et pourquoi ces causes sont apparues. À cette condition seulement nous pouvons soigner le mal en profondeur et, surtout, empêcher sa récidive.

 

LA MALADIE DU SENS

   À chacun ses maladies, à chacun ses souffrances. A chacun son existence. À chacun sa manière de faire du sens.

   En commençant ce livre, nous avons découvert la diversité et la complexité des théories échafaudées par les êtres humains pour répondre à leur quête de sens. En particulier lorsque le chaos provoqué par la maladie réclame une explication susceptible d’aider à trouver un nouvel équilibre. Nous avons compris que le faite d’attribuer un sens à la souffrance permet de générer l’espoir nécessaire pour survivre. Car, les récentes découvertes de la psycho-neuro-endocrino-immunologie le prouvent, les pensées positives et les émotions agréables engendrées par l’attribution d’un sens aux expériences de l’existence aident à prévenir et à guérir les maladies. Nous avons perçu aussi à quel point les sociétés traditionnelles privilégient le maintien de l’ordre, le rétablissement de l’harmonie et la restauration de la beauté afin d’assurer le bien-être de toute la communauté. Car une sagesse millénaire enseigne que la bonne santé est avant tout une affaire sociale, et la guérison une entreprise collective.

   En poursuivant notre enquête, nous avons constaté que, dans nos sociétés modernes, la question du sens est souvent délaissée au profit du pragmatisme scientifique. S’intéresser au sens de la maladie revient donc à comprendre que, de nos jours, il existe une véritable maladie du sens. À l’instar de la civilisation qui lui a donné naissance, la médecine moderne n’accorde pratiquement plus de place au questionnement philosophique métaphysique ; soucieuse de performance et d’efficacité, elle chasse le malade de son corps pour mieux objectiver les mots dont il souffre ; et, pendant ce temps, les patients manquent de réponse aux interrogations qui constituent l’essence même de leur humanité. Réduits à l’état de corps–objets, de plus en plus de malades demandent à être soignés comme des corps–sujets. Ils souhaitent être considérés dans l’entièreté et dans la complexité de leurs dimensions physique, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle. Car, si notre langage sépare les objets de son propos en leur attribuant un nom bien spécifique, l’être humain n'en demeure pas moins un individu indivisible, une unité de corps et d’esprit."

 

 2) AU SERVICE DE LA VIE

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Au cours des dernières années, la question « En quoi je puis-je aider ? » a pris du sens pour beaucoup de gens. Mais il existe peut-être une question plus profonde à examiner. Peut-être la vraie question n'est-elle pas « En quoi puis-je aider ? », mais « En quoi puis-je servir ? ».

 Le service est différent de l'aide. L'aide est fondée sur l'inégalité ; ce n'est pas une relation entre égaux. Quand vous aidez, vous utilisez votre propre force pour aider ceux qui en ont moins. Si je suis attentive à ce qui se passe en moi quand j'aide, je vois que j'aide toujours quelqu'un qui n'est pas aussi fort que moi, qui est plus démuni que moi. Les gens ressentent cette inégalité. Quand nous aidons, nous risquons de prendre aux gens plus que nous ne pourrions jamais leur donner ; nous pouvons diminuer leur estime de soi, la conscience de leur valeur, de leur intégrité et de leur entièreté. Quand j'aime, j'ai une conscience aiguë de ma propre force. Mais nous ne servons pas avec notre force, nous servons avec ce que nous sommes. Nous nous appuyons sur toutes nos expériences. Nos limites servent, nos blessures servent, même nos côtés obscurs peuvent servir. L'entièreté de ce que nous sommes sert l'entièreté que sont les autres, et qu'est la vie. L'entièreté en vous est la même que l'entièreté en moi. Le service est une relation entre égaux.

L'aide entraîne la dette. Quand vous aidez quelqu'un, cette personne vous doit quelque chose. Mais le service, comme le fait de guérir, est mutuel. Il n'y a pas de dettes. Je suis servie, de même que la personne que je sers. Quand j'aide, j'ai un sentiment de satisfaction. Quand je sers, j'ai un sentiment de gratitude. Ce sont deux choses très différentes.

Servir est également différent de réparer. Quand je « répare » une personne, je la perçois comme si elle était cassée, et cette fragilité exige de moi que j'agisse. Quand je répare, je ne vois pas l'entièreté chez l'autre personne, et je ne fais pas confiance à l'intégrité de la vie en elle. Quand je sers, je vois cette entièreté et je lui fais confiance. C'est ce à quoi je réponds, et ce avec quoi je collabore.

Il existe une distance entre nous et la chose ou la personne que nous « réparons ». Réparer suppose une forme de jugement. Toute forme de jugement crée une distance, une déconnexion, une expérience de la différence. Dans le fait de réparer, il y a une inégalité d'expertise qui peut facilement se transformer en une distance morale. Nous ne pouvons pas servir à distance. Nous ne pouvons servir que ce à quoi nous sommes profondément connectés, ce que nous sommes prêts à toucher. C'est le message fondamental de Mère Teresa. Nous servons la vie, non pas parce qu'elle serait « cassée », mais parce qu'elle est sacrée.

Si l'aide est une expérience de force, réparer est une expérience de maîtrise et d'expertise. Le service, au contraire, est une expérience du mystère, d'abandon et de respect. Celui qui répare a l'illusion d'être la cause (de la réparation). Celui qui sert sait qu'il est utilisé et est disposé à l’être, pour se mettre au service de quelque chose de plus grand, quelque chose d'essentiellement inconnu. Réparer et aider sont des actes très personnels ; ils sont très particuliers, concrets et spécifiques. Nous réparons et aidons de nombreuses choses au cours de notre vie, mais quand nous servons, nous servons toujours la même chose. Tous ceux qui ont déjà été au service au cours de l'histoire ne servent qu'une seule et même chose. Nous sommes au service de l'entièreté et du mystère de la vie.

Au final, bien sûr, nous pouvons réparer sans servir. Et nous pouvons aider sans servir. Et nous pouvons servir sans réparer ou aider. Je pense que j'irais jusqu'à dire que réparer et aider sont souvent l'œuvre de l’ego, et le service, l'œuvre de l’âme. Cela peut se ressembler, si on regarde de l'extérieur, mais l'expérience intérieure est différente. Le résultat aussi est souvent différent.

Notre service nous sert, aussi bien qu’il sert les autres. Ce qui nous utilise nous rend plus fort. À travers le temps, réparer et aider nous épuise complètement. Nous finissons par être vidés de nos forces. Au contraire, servir renouvelle nos forces. Quand nous servons, c'est notre travail lui-même qui nous soutient.

Le service repose sur la prémisse fondamentale que la nature de la vie est sacrée, que la vie est un saint mystère dont les fins nous sont inconnus. Quand nous servons, nous savons que nous appartenons à la vie et à ses fins. Fondamentalement, aider, réparer et servir sont des façons de voir la vie. Quand vous aidez, vous considérez que la vie est faible, quand vous réparez, vous considérez qu'elle est cassée. Quand vous servez, vous voyez la vie comme un tout. Dans la perspective du service, nous sommes tous connectés : toute souffrance est comme ma souffrance, et toute joie est comme ma joie. L'élan vers le service émerge de façon naturelle est inévitable de cette façon de voir les choses.

Enfin, réparer et aider sont les bases du soin, mais pas de la guérison. En l'espace de 40 ans de maladies chroniques, j'ai été aidée par de nombreuses personnes et réparée par beaucoup d'autres, qui ne reconnaissaient pas mon entièreté. Toute cette aide et ces réparations m’ont blessée d'une manière fondamentale. Seul le service peut guérir.

Rachel Naomi Remen

Quatrième conférence annuelle de l’IONS, « cœur ouvert, esprit ouvert », Californie, 1995

 

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