J'ai le droit...

J’AI LE DROIT…

* de vivre, aussi intensément que possible, tout ce que la vie m'offre comme espace d'aventure infini.

* de me faire du bien. Cela va si peu de soi que je dois me seriner longtemps la petite phrase magique « Y'a pas d’mal à s’faire du bien » avant de m'y résoudre, mais qu'importe après tout puisque j'y parviens in extremis. Cela peut être taxé d'égoïsme mais, peu me chaut si je garde à l'esprit la pensée salvatrice : – « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mon prochain a donc clairement intérêt à ce que j'ose me faire du bien, ce qui prélude aux biens que je me dispose à lui faire à son tour.

* de croire à l'extrême justesse de mes intuitions, par-delà tous les discours qui s'offrent à encadrer mes désirs, souvent pour les orienter vers quelque chose de productif (me demander alors – avec insistance – à qui profite le susdit encadrement ? ).

* de danser, célébrant la splendeur de la création en mon être de chair lorsque celui-ci se met se sent en harmonie. Ce droit a son revers, qui est de tomber malade lorsque « quelque chose cloche » entre l'être de chair et l'esprit qui l'habite. Vive cette cloche, sans laquelle je n'aurais rien entendu !

* de chanter à tous les échos ma débordante joie de vivre, enchantant l'alentour de mes trilles exubérantes.

* de dire à qui veut les entendre chacune de mes émotions.

* de voir la beauté partout où elle se révèle… ou se terre, même s'il me faut soulever la lourde pierre pour y découvrir la tendre et timide violette là-dessous cachée.

* de lire tout ce qui retient dans l'instant mon attention. Y compris l'infâme prose de ce que ma tête étiquette comme pervers. Y compris la prose enchanteresse que les cafards trouvent délirante… Ce droit inclut celui de ne pas lire ce qui dans l'instant, « ne me dit rien ». Comme j'ai le droit de ne manger ni boire lorsque mon désir n'y est pas.

* de savoir tout ce que je peux supporter de savoir. Et notamment d'admettre que je suis pour grande partie fabriqué de fausses croyances sensées me « protéger » et qui surtout me brident. De savoir aussi tout ce que l'on me cache : le secret n'étant souvent que l’athanor immonde où s'élabore la volonté de puissance de ceux qui cachent…

* de penser librement, en totale indépendance. S'il y a un domaine où je suis (me veux) intégralement libre, c'est bien celui de la pensée, le seul domaine où les « expériences » sont presque entièrement gratuites !

* de jouer, juste pour voir, et même avec le feu (au pyre, si je me brûle, cela ne regarde que moi). Et je peux même jouer à penser – juste pour exercer ma liberté – le contraire de ce que je pense comme allant de soi. C'est fou comme c'est rafraîchissant de se demander, par exemple, si le pape n'est pas l'Antéchrist. Bien sûr cela ne résiste guère à un examen sérieux, mais cela ouvre un espace où pouvoir ranger un certain nombre d'informations qui - provisoirement – ne cadrent pas avec l'idée contraire…

* de chaque jour me faire le cadeau d'une audace. Parce que je sais bien que tout ce que je désire faire et n'ose encore pas est justement de nature à m'ouvrir au nouveau que – sinon – je risque de ne jamais découvrir.

* de me tromper 1000 fois, jusqu'à la démesure. De me relever 1000 fois, chaque fois enrichi d'une nouvelle sagesse laquelle, sans mon erreur, serait demeurée inaccessible. De ne jamais me laisser enivrer par les sirènes qui me susurrent que je perds du temps à voler ainsi d'erreur en erreur : et qui vous dit, délicieuses sirènes, que ce temps perdu ne m'emmène pas en des terres qui demeureront inviolables à tous les gens pressés ?

* d'être pré-somptueux. Comme le sont ces gamins qui crânement annoncent « Moi, quand j’s’rai grand, hé ben j’s’rai aviateur ! ». Ces jeunes pré-somptueux ne le deviennent pas tous (somptueux), en tout cas jamais ceux qui renoncent à leur beau rêve d'enfant avant de l'avoir réalisé. Ce droit implique bien sûr celui de rêver, inévitable première étape vers de stupéfiantes découvertes.

* de rompre en souplesse tous les combats inutiles, bien persuadé que ma conviction est telle qu'elle ne s'imposera pas à mon adversaire par la force, mais finira par le gagner de l'intérieur quand il sera prêt à y voir la signature de la vérité.

* d’aimer qui je veux, quand je veux, le temps que je veux, autant que je le veux. Sans autre limite que celle que m'impose aujourd'hui la fragilité de mon être. Sans oublier non plus que ce que j'applique en mes élans ne sauraient y puiser d'autres souffrances que la seule reviviscence de leur propre fracture.

Sans avoir peur d’aimer – de perdurer à aimer – celui ou celle qui me boude, voire m’éconduit sèchement, parce que son cœur n'est pas encore prêt à l'accueil. Par exemple, cette ange de lumière que j'ai un jour transfigurée par l’aveu de mon amour… et puis qui a pris peur, craignant de s'y brûler et refusant de savoir qu'elle peut – tout simplement – venir bien doucement s'y réchauffer l'âme !

* d'être plus heureux que ne l'ont été ceux qui m'ont transmis la vie, que ne le sont presque tous ceux qui m'entourent, que ne le sont à l'évidence ceux qui s’engluent dans les jouissances matérielles…

Plus heureux encore que ceux qui – partiellement éveillés aux joies de l'esprit – s'évertuent à vouloir m'y aider guider selon leur voix et qui parfois m'en veulent de cingler seul sur mon erre propre.

* d'exulter sous l'avalanche de signes que je reçois dès que je m'abandonne sans plus résister à la grâce.

* de réaliser enfin que j'ai tous les droits que je prends tranquillement, parce que je les prends au nom de l'amour que je voue à la vie…

Je sais bien qu'en cet état d'esprit je ne cours aucun autre risque que celui d'être de plus en plus heureux et celui d'être en mesure de vous inviter à faire de même – pour autant que vous vouliez bien vous accorder ce droit !

 

Docteur Jean NANCROIX

1996, chronique de « Vous et votre Santé », numéro 42